Mont Blanc, altitude 4808 mètres sur une roue...
Le récit (Chapitre 4)

(Vendredi 22 juillet 2005)

Il est maintenant 13h30, et nous foulons le sommet, altitude 4808,35 mètres selon les derniers relevés, il fait entre -10 et -15°C et le vent souffle de 30 à 40 km/h. Nous sommes heureux ! Le paysage qui s'étend à perte de vue est grandiose. Un regard échangé, quelques mots, quelques photos… L'endroit est hostile, les cordées passent et ne s'arrêtent pas, juste quelques clichés souvenir, des accolades puis la descente… Je ne sens plus le bout de mes doigts, il faut activer le sang, taper les pieds, donner un peu de chaleur aux membres qui s'engourdissent… Malgré la beauté du lieu, une envie forte pousse à descendre, partir, abandonner ce lieu, vite, très vite !

Tel un automate, je me lève, me désencorde, et me dirige vers notre itinéraire de descente. L'arête est belle, superbe même. Elle est comme un fil, avec, de chaque côté, une pente fuyante, vertigineuse, et au pied, 3800 mètres plus bas, Chamonix d'un côté, Courmayeur de l'autre. Je palpe la neige : elle est dure, elle porte bien. Revenant sur mes pas, je retrouve Pierre : "Ca va ?". Ici, les mots pèsent peu, le regard m'en dit beaucoup plus long : "OK, vas y ; mais vite !". Je sais que Pierre comprend : nos aventures communes nous ont appris à nous connaître, la confiance est totale. La réussite ne dépend pas que de moi, mais aussi de lui : de sa vigilance à m'assurer, de sa patience à m'attendre. Ce n'est pas "mon" aventure, mais bien la nôtre.
A partir de là, tout s'enchaîne : détacher les lanières qui retiennent l'engin au sac à dos demande un effort, ne rien laisser s'échapper au vent, enlever les crampons, refaire le sac… Un hélico fait une visite furtive sur les contreforts du sommet, troublant un bref instant la solitude du lieu… Ma main, engoncée par une moufle raidie de froid, essaie de tenir fermement la poignée-selle de l'engin, et je commence par poser la coque rigide de ma chaussure sur une pédale de l'engin. Si faciles dans la vallée et répétés tant de fois, tous ces gestes élémentaires me semblent maladroits et lourds. Il me faut oublier où je suis, oublier la cuirasse qui me recouvre, le piolet qui m'embarrasse… C'est alors que j'arrive enfin à vider mon esprit, je ne pense plus à rien, si ce n'est à faire corps avec cette mécanique. Le pied resté au sol décolle enfin et, tant bien que mal, se pose sans grande délicatesse sur l'autre pédale. Bientôt, l'ensemble ne fait plus qu'un et le sentiment de m'envoler me transcende alors…

(Suite du récit => Chapitre 5 )
 

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